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Indemnisation des victimes de pesticides : le gouvernement traîne-il-des pieds?

https://www.liberation.fr/france/2018/05/16/indemnisation-des-victimes-de-pesticides-le-gouvernement-traine-il-des-pieds_1650292

L’association Phyto-Victimes et des sénateurs dénoncent le blocage par le gouvernement de la proposition de loi pour un fonds d’indemnisation des victimes des pesticides.


Paul François, le président de l’association Phyto-Victimes accuse le gouvernement de bloquer une proposition de loi pour la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes de produits phytosanitaires. Lors d’une conférence de presse, mardi, il a dénoncé «l’ambivalence du gouvernement, qui a annoncé depuis plusieurs mois son intention de sortir de l’utilisation des produits phytosanitaires en agriculture, mais qui, en avançant des prétextes qui pour nous ne sont pas recevables, ne souhaite pas soutenir cette loi».


L’agriculteur, qui a réussi à faire condamner pour la première fois en 2015 le géant américain Monsanto pour une intoxication à l’herbicide Lasso, reproche au gouvernement de ne pas inscrire cette proposition de loi, votée au Sénat, à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Le texte, porté par Nicole Bonnefoy, sénatrice socialiste de la Charente, a été adopté le 1er février par le Sénat, à la majorité absolue - et sans aucune voix contre. Et ce malgré l’avis défavorable de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, présente lors des débats : «La création d’un tel fonds d’indemnisation m’apparaît prématurée. En effet, nous connaissons encore trop mal les risques sur la santé d’une exposition à un ou plusieurs produits phytopharmaceutiques», justifiait-elle.


«C’est du négationnisme scientifique», dénonce Bernard Jomier, sénateur de Paris, sans étiquette – anciennement EE-LV – et rapporteur pour la commission des affaires sociales du Sénat de cette proposition de loi. «Nous devons plutôt renforcer l’indemnisation dans le cadre du système des accidents du travail et des maladies professionnelles», a proposé la ministre. Important, mais insuffisant aux yeux des associations de victimes et des sénateurs.


«Pas de clivage politique»

«Maintenant, il faut que l’Assemblée nationale vote ce texte, plaide la sénatrice Nicole Bonnefoy. Nous avons deux options pour qu’il soit inscrit à l’ordre du jour : soit c’est le gouvernement qui le fait, soit nous sommes obligés d’attendre la niche socialiste de janvier 2019.»


Aux yeux des deux sénateurs et de l’association Phyto-Victimes, le blocage vient du ministère de la Santé. «J’ai eu l’occasion dans le cadre de ma commission au Sénat de rencontrer Nicolas Hulot, que je sais sensible à ces questions», relate Nicole Bonnefoy. Il m’a confirmé à l’occasion d’un dîner en petit comité que j’avais raison, qu’il fallait avancer sur ces questions et qu’il était tout à fait favorable à cette idée.» Contacté par Libération, le ministère de la Transition écologique et solidaire n’a pas souhaité communiquer à ce sujet.

«J’ai rencontré Stéphane Travert [le ministre de l’Agriculture et de l’alimentation] qui a donné un avis plutôt bienveillant sur cette proposition de loi», renchérit quant à lui Paul François, président de l’association de victimes des pesticides. Joint par Libération, le cabinet de la ministre de la santé précise que la position d’Agnès Buzyn «n’a pas changé» depuis le débat au Sénat, sans pour autant exprimer une volonté de bloquer le texte.

Pourtant, Barbara Pompili, députée La République en marche (LREM) et présidente de la commission du développement durable à l’assemblée, avait, dès le mois de mars, écrit «au Premier ministre pour que le gouvernement inscrive (cette) proposition de loi à l’ordre du jour prioritaire de l’Assemblée nationale», après avoir été sollicité par Nicole Bonnefoy.

«A défaut, nous lui avons demandé que ce texte soit repris par le gouvernement via des amendements au projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable qui doit être discuté en séance publique courant mai (du 22 au 25, ndlr)», écrivait Barbara Pompili dans sa lettre à la sénatrice, précisant que «la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire que je préside a voté un amendement demandant au gouvernement de présenter un rapport sur les modalités de réparation intégrale des préjudices des personnes victimes des produits phytosanitaires.» 


«Il n’y a pas de clivage politique à avoir sur cette question», affirme Bernard Jomier. Avec Nicole Bonnefoy, ils ont rencontré le 14 mars dernier plusieurs députés de tous bords politiques, pour discuter de l’idée de ce fonds. Paul François, reproche au président de la République de revenir sur ces engagements en bloquant cette proposition de loi : «Je me souviens du candidat Macron qui souhaitait une sortie de l’utilisation des pesticides», relate-t-il, rappelant également la visite du Président au Salon de l’agriculture, où le président avait déclaré à un agriculteur qui l’avait sifflé : «Le glyphosate, aucun rapport ne dit que c’est innocent […] moi, j’aurai à répondre de ce que je fais. Dans le passé, on a dit que l’amiante ce n’était pas dangereux, et après les dirigeants qui ont laissé passer, ils ont eu à répondre.»

«C’est sur un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale [Inserm] qu’on a interdit l’amiante», souligne d’ailleurs le président de Phyto-Victimes. «Nous, on a un rapport de l’Inserm de 2013 et on ne veut même pas reconnaître qu’il y a un impact sur la santé et les pouvoirs publics ne sont pas prêts à assumer cette responsabilité et à dédommager ceux qui ont utilisé ces produits. Avec ce fonds, les industriels et une partie des agriculteurs ne pourront plus nier.»


Financer par une taxe sur les pesticides

Un récent rapport publié par trois inspections d’Etats (Igas, IGF et CGAAER) préconise la mise en place de ce fonds d’indemnisation. Il établit le nombre de victimes à environ 10 000 sur dix ans, pour les deux seules pathologies reconnues comme maladies professionnelles dues aux pesticides : la maladie de Parkinson et les hémopathies malignes. Reconnues en 2012 et 2015 respectivement, elles permettent seulement une réparation forfaitaire. «Il n’y a pas de réparation intégrale comme pour les victimes de l’amiante ou du nucléaire», explique Bernard Jomier. «Et surtout seuls les agriculteurs peuvent être indemnisés, et leurs proches ou les riverains, eux, n’ont rien.»

Le rapport suggère que le fonds soit financé pour moitié par des subventions de l’Etat, et pour moitié par la taxe des produits phytosanitaires et la sécurité sociale. Il estime ses dépenses annuelles entre 28 et 93 millions d’euros. La taxe sur la vente des produits phytosanitaires existe déjà, et elle a d’ailleurs été augmentée par un amendement de Nicole Bonnefoy dans la loi de finances rectificative pour 2016, relevant son plafond de 4,2 à 6,3 millions d’euros. Cette taxe finance pour le moment le dispositif de phytopharmacovigilance de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui sert à «surveiller les effets indésirables des produits phytopharmaceutiques disponibles sur le marché».

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